Des personnes à part entière

Journal l’Express du 15.10.2002

Journée de la canne blanche

Handicap de la vue et vie professionnelle ne sont pas incompatibles. La preuve avec Natacha de Montmollin, informaticienne au CEG de Neuchâtel

Par Sandra SpagnoI

Un vent glacial souffle actuellement sur les personnes handicapées de la vue qui souhaitent s’intégrer dans le monde du travail, estime la Fédération suisse des aveugles et mal-voyants. Aujourd’hui,à l’occasion de la Journée de la canne blanche, elle veut mettre l’accent sur l’intégration professionnelle. Natacha de Montmollin prouve, si besoin était, que l’on peut concilier handicap et vie professionnelle. Depuis 1994,la jeune informaticienne travaille au Centre électronique de gestion (CEG) de la ville de Neuchâtel.

 Cursus scolaire 

Aveugle de naissance, Natacha de Montmollin a suivi sa scolarité obligatoire dans le cursus «normal ».Exception faite des deux premières années scolaires,«parce que l’intégration n’existait pas». «Je souhaitais aller dans la même école que ma sœur et mes copains de quartier.» Lucide, Natacha de Montmollin remarque que son intégration a été rendue possible grâce à une direction et des enseignants favorables. Mais aussi grâce au soutien de ses parents et à une volonté propre hors du commun. «Me retrouver du jour au lendemain sortie d’un cadre protégé et plongée dans une classe de 20 élèves, voire au milieu d’une cour de récréation où 600 enfants hurlaient, m’a d’abord effrayée. J’avais l’impression que tout le monde se battait!»

 « Elle ne m’a pas donné une chance » 

Avec le recul,la jeune femme de 29 ans dit ne rien regretter. Au contraire. «Mieux vaut s’intégrer quand on est jeune. De toute façon,on se retrouve un jour ou l’autre immergé dans la société.» Son handicap lui a insufflé une maturité qui ferait des envieux. «J’ai compris très jeune que c’est en réussissant ma scolarité que je réussirais ma vie professionnelle. Je n’avais donc pas le droit à l’échec.»
Sa vie professionnelle ? La jeune Natacha a un temps rêvé devenir géomètre ou dessinatrice. Des horizons évidemment inenvisageâbles. Aussi,a-t-elle choisi l’Ecole de commerce, section maturité d’Yverdon,  -ville dans laquelle elle habitait alors.« C’est là que j’ai utilisé pour la première fois un ordinateur et que je me suis intéressée à l’informatique.» Las, l’école vaudoise d’informatique n’a point voulu d’elle. «Elle ne m’a pas donné une chance », explique Natacha de Montmollin. Sans amertume. «Avec le temps, on apprend à prendre de la distance.» C’est l’école d’informatique de Neuchâtel qui lui a ouvert ses bras. Puis, le CEG. «Le travail me plaît beaucoup.
Si j’ai dû prouver davantage que mes congénères ? Au début, certainement. A qualifications égales, un employeur choisira le candidat qui n’est pas handicapé de la vue.» Aussi Natacha se bat-elle pour les personnes qui souffrent du même handicap qu’elle. Elle a créé bénévolement un site internet (www.blindlife.ch) qui s’adresse aux voyants et aux malvoyants. «Le but est d’informer pour établir des passerelles.» C’est aussi pour cette raison qu’elle se rend dans des classes.
Son plus grand souhait serait que «les gens nous considèrent comme des personnes avant de nous’voir comme des handicapés. Nous sommes des personnes à part entière », affirme celle qui, dans quelques semaines, donnera naissance à son premier enfant. Elle sourit de ses magnifiques yeux. /SSP

Natacha de Montmollin, qui s’appelait alors Chevalley, s’est aussi illustrée dans des compétitions internationales de ski et de cyclisme.